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Perspectives de septembre 2023 : Le retour silencieux de la machine gouvernementale

14 septembre 2023

Image of U.S. Capitol building with cloudy skies above.

Les marchés ont été agréablement surpris par la vigueur de l’économie cette année.

Les raisons sont nombreuses et varient d’un pays à l’autre. Toutefois, le retour d’une politique budgétaire favorable est en grande partie passé inaperçu. En 2022, le déficit budgétaire des États-Unis s’est contracté de façon record, après avoir affiché la plus forte expansion jamais enregistrée en 2020 et 2021. Cette année, même si l’expansion économique est arrivée à maturité, ramenant le taux de chômage à son plus bas niveau depuis une génération et faisant grimper considérablement les taux d’intérêt, le déficit fédéral a augmenté de façon furtive et importante. En fait, le déficit a doublé au cours des dix premiers mois de l’exercice, passant de 726 milliards de dollars américains en 2022, ce qui était déjà énorme, à 1 610 milliards de dollars américains cette année.

Les surprises se sont manifestées tant du côté des revenus que des dépenses (voir le graphique 1). Les remboursements d’impôt, qui atteignent normalement un sommet au printemps, ont en fait augmenté au cours de l’été, en particulier pour les petites entreprises qui demandent de façon rétroactive des crédits d’impôt visant la rétention du personnel pour des sommes importantes. Ce programme a été de plus en plus utilisé et des rapports récents donnent à penser que des demandes sont maintenant refusées dans le but de réduire l’utilisation excédentaire. Une autre raison expliquant la baisse des recettes fiscales est la baisse de l’impôt sur les gains en capital compte tenu des rendements boursiers de l’an dernier.

Graphique 1 : Principaux postes budgétaires contribuant à la hausse de 800 G$ du déficit 
De juin 2022 à juin 2023

Sources : Département du Trésor américain et Strategas.

En revanche, les dépenses ont augmenté dans les secteurs habituels, comme la sécurité sociale, les soins de santé et la défense. Les nouveaux projets d’investissement et de construction découlant de l’Inflation Reduction Act et du projet de loi sur les infrastructures et l’énergie propre n’ont pas encore commencé, mais devraient être mis en œuvre en 2024 et se poursuivre pendant des années, ce qui accentuera les déficits.

Toutefois, la plus forte augmentation des dépenses est imputable aux paiements d’intérêts sur la dette publique, qui ont été touchés à la fois par les besoins de financement croissants et la hausse des taux d’intérêt. Jusqu’à l’an dernier, même si la dette totale augmentait considérablement, les frais d’intérêts, en proportion des dépenses fédérales, étaient inférieurs aux sommets précédents.

Cette réalité devrait changer encore plus, car environ 70 % des obligations du Trésor américain détenues par des investisseurs privés arrivent à échéance et devront être renouvelées au cours des cinq prochaines années. Autrement dit, la plupart des titres de créance américains sont assortis d’une échéance à court terme et, malheureusement, c’est dans ce segment où les taux d’intérêt sont les plus élevés. Il s’agit d’un contraste marqué par rapport à la dette hypothécaire des ménages et à la dette des sociétés, lesquelles ont tendance à être de longue durée et donc à l’abri, dans une certaine mesure, des effets immédiats des hausses de taux.

Aujourd’hui, les paiements sur la dette fédérale représentent environ 14 % de toutes les recettes du gouvernement. Le Congressional Budget Office prévoit que les frais d’intérêts tripleront au cours de la prochaine décennie, passant de 1,9 % du PIB à 3,7 % en 2033 (voir le graphique 2). Compte tenu de l’ampleur du déficit, du coût du service de la dette et de l’absence de plan pour réduire sensiblement le déficit, il n’est pas surprenant que Fitch ait abaissé la note de crédit des États-Unis, la faisant passer de AAA à AA+ au début d’août.

Graphique 2 : Les frais d’intérêts dépasseront le sommet précédent d’ici 2029

Sources : CBO et Macrobond.

Les déficits sont des outils politiques utiles et importants. Les dépenses publiques financées par des fonds empruntés peuvent soutenir la croissance et la productivité si les fonds sont affectés aux infrastructures ou aux investissements. Fait important, un déficit peut atténuer l’incidence d’une récession ainsi que les crises, comme une fermeture économique, ou contribuer à la reconstruction après une catastrophe naturelle. Cela dit, un déficit important ne devrait pas s’enregistrer à un moment où l’économie se heurte déjà au plein emploi. Dans cette situation, le gouvernement crée artificiellement une demande, ce qui rend les intrants plus chers, et évince le secteur privé en lui faisant concurrence pour obtenir du financement qui, autrement, serait affecté à de nouvelles idées ou à l’expansion des entreprises. Sur le plan cyclique, en période de repli, le soutien gouvernemental est essentiel pour de nombreuses personnes et, en fait, s’il s’agit du déficit en période de prospérité, quel sera-t-il en période de récession?

Les conséquences à court terme sont tout aussi importantes. La taille de la dette est à peu près la même que celle du PIB annuel et menace de dépasser la flambée de courte durée lors de la Deuxième Guerre mondiale (voir le graphique 3), et pourrait forcer une réévaluation des priorités quant au service de la dette fédérale au-delà de la lutte contre l’inflation.

Graphique 3 : La dette du gouvernement américain devrait dépasser son sommet précédent d’ici 2028

Sources : CBO et Macrobond.

En d’autres termes, la politique monétaire – qui équilibre déjà les priorités concurrentes que sont la stabilité des prix, le plein emploi et la stabilité financière – pourrait aussi devoir modérer les taux d’intérêt élevés pour éviter une crise budgétaire. D’un point de vue historique, les outils de politique monétaire ne sont peut-être pas les mieux adaptés pour lutter contre l’inflation alimentée par le déficit; l’austérité budgétaire pourrait plutôt être l’outil de politique nécessaire. Une étude récemment publiée par la Réserve fédérale de New York corrobore cet argument, concluant qu’un soutien gouvernemental important a été à l’origine d’environ le tiers de l’inflation entre décembre 2019 et juin 2022.

Nous croyons que la Fed continuera de mettre l’accent sur le risque d’inflation et c’est ce que le président Powell a affirmé en faisant valoir l’indépendance de la Fed et en laissant le Congrès s’occuper de la dette et du service de celle-ci. Les problèmes sont néanmoins interreliés – les investisseurs obligataires, qui étaient sensibles à des risques budgétaires semblables au Royaume-Uni il y a un an, signalent un soutien budgétaire trop important.

Ce problème ne concerne pas seulement les États-Unis. L’UE a connu des difficultés en raison de la hausse des frais d’intérêts, tout comme le Japon, qui a cessé de prévoir un budget équilibré. Le Canada est en meilleure position, maintenant une note globale de AAA (Fitch a abaissé la note du Canada à AA+ durant la pandémie). Les assises des gouvernements provinciaux sont également solides. Même si les dépenses ont considérablement fait augmenter les déficits par rapport aux deux dernières décennies, on s’attend à ce que le déficit du Canada soit à un niveau relativement modeste de 1,4 % du PIB en 2023-2024 et à ce qu’il diminue à seulement 0,4 % dans quatre ans. Les niveaux d’endettement sont une tout autre histoire, car les coûts de soutien pendant la pandémie ont été absorbés en grande partie par le gouvernement fédéral et ont entraîné une hausse de la dette totale, qui est passée de 32,8 % du PIB avant la pandémie à 44,5 % du PIB cette année. Même comparativement à d’autres pays, les problèmes budgétaires des États-Unis se distinguent et demeurent un risque majeur en raison de l’importance du marché obligataire et des taux de revenu. Ces déficits sont malsains pour l’économie à long terme et un renversement de la tendance favoriserait la cause de la Fed, mais il n’est pas certain que cela se produira. Les dépenses devraient augmenter l’an prochain et les frais d’intérêts aussi.

Marchés financiers

La situation budgétaire est l’une des raisons suggérées de la hausse des taux d’intérêt à long terme en août, la décote de Fitch ayant été un catalyseur de cette décision. Le taux des obligations du Trésor américain à 10 ans a atteint un sommet de 4,36 % à la mi-août, avant de redescendre et de finalement clôturer le mois en hausse d’environ 20 points de base (pb) à 4,11 %. Ce sommet intramensuel n’a pas été observé depuis 2007. Le taux des obligations du gouvernement du Canada à 10 ans a augmenté d’environ 6 pb, ce qui est inférieur à celui des obligations américaines. Les taux à deux ans ont reculé dans les deux pays et l’indice des obligations universelles FTSE a légèrement fléchi de 0,2 %. La hausse des taux à long terme a pesé sur les actifs risqués, les écarts de taux s’élargissant quelque peu, mais aussi sur les marchés boursiers, qui, sur une base mensuelle, ont reculé pour la deuxième fois seulement cette année et pour la première fois en cinq mois. Les actions se sont redressées par rapport à leurs creux du mois, car le repli des données sur l’inflation a apaisé les craintes que les taux d’intérêt restent élevés plus longtemps. L’indice S&P 500 a reculé de 1,6 % en août, tandis que l’indice composé S&P/TSX a perdu 1,4 %. La plupart des secteurs ont perdu du terrain au cours du mois, seuls ceux de l’énergie, des biens de consommation de base et de la santé ayant enregistré des gains importants. Malgré la faiblesse de la Chine et de l’Europe, les prix de l’énergie ont augmenté pour le troisième mois consécutif, tandis que les prix des métaux ont fléchi parallèlement à la production industrielle.

Stratégie de portefeuille

Les marchés boursiers sont optimistes à l’égard d’un atterrissage en douceur de l’économie depuis le début de l’année, en partie en raison du soutien budgétaire imprévu, mais nous continuons de croire que ce scénario est peu probable. Malgré la hausse des taux d’intérêt au cours de l’été, les valorisations ont augmenté cette année. Si le scénario d’un atterrissage en douceur se concrétise, il est probable que le marché et la Fed devront réévaluer le taux directeur neutre, car l’économie semble en mesure de composer avec ces niveaux de taux. Par conséquent, les taux d’intérêt à long terme pourraient rester plus élevés pendant plus longtemps que lors des cycles précédents, ce qui finirait par peser sur les actifs risqués. Ce risque de hausse des taux est particulièrement réel si les préoccupations à l’égard de la mauvaise gestion budgétaire continuent de croître.

Les portefeuilles équilibrés continuent de surpondérer les liquidités, tandis que les actions et les obligations sont sous-pondérées par rapport aux indices de référence. Les marchés boursiers continuent de récompenser les sociétés affichant des bénéfices résilients. Nous augmentons la part de certains titres cycliques dont les valorisations sont intéressantes et qui pourraient profiter d’une vigueur économique prolongée. Nous croyons que le thème de l’intelligence artificielle générative continuera de soutenir l’expansion des ratios dans le secteur des technologies et nous sommes à la recherche de sociétés qui profiteront du prochain cycle de dépenses en immobilisations découlant de l’augmentation des investissements budgétaires au cours des prochaines années.

Les portefeuilles de titres à revenu fixe continuent de se positionner en vue de taux à long terme plus élevés par rapport aux taux à court terme, et ce positionnement devrait donner de bons résultats dans différents scénarios économiques. Nous continuons de suivre l’évolution de la conjoncture, d’évaluer la longévité des divers facteurs qui ont contribué à soutenir la croissance à ce jour et d’ajuster les portefeuilles en conséquence.

CC&L Investment Management Ltd.
septembre 14th, 2023