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Perspectives d’août 2023 : Tout va bien, alors pourquoi en irait-il autrement?
09 août 2023

Nous ne sommes pas encore au bout de nos peines.
Les actifs risqués, notamment les titres des marchés boursiers, ont inscrit d’excellents résultats cette année, faisant fi des indicateurs économiques avancés annonçant une forte probabilité de récession. En Chine, la croissance économique a été décevante, tandis qu’aux États-Unis, trois grandes banques ont fait faillite et d’importantes entreprises ont procédé à des mises à pied massives. Cependant, au cours des derniers mois, l’indice Citigroup des surprises économiques a grimpé, alors que l’inflation battait en retraite. Soulignons par ailleurs que le ralentissement de l’inflation n’a pas entraîné de graves conséquences économiques et a été observé à grande échelle dans diverses mesures de prix de base (voir le graphique 1).
Graphique 1 : Diminution de l’inflation précédant un repli
Autres mesures de l’IPC aux É.-U.

Sources : Réserve fédérale de Cleveland, Réserve fédérale de New York, Réserve fédérale d’Atlanta, BLS, Macrobond.
Selon les données économiques, de nombreux observateurs du marché s’attendent maintenant à un atterrissage en douceur de l’économie. Dans un tel scénario, on peut s’attendre à des ralentissements sectoriels successifs sans toutefois que l’économie plonge dans une véritable récession ou que le taux de chômage augmente. L’un des éléments à souligner dans ce scénario est la capacité de l’inflation à se résorber d’elle-même.
Prenons par exemple le secteur de l’économie le plus sensible aux taux d’intérêt, à savoir le logement. Comme nous l’avons vu dans le bulletin Perspectives de juillet, le marché du logement s’est raffermi simplement grâce à la stabilisation des taux d’intérêt. Plus récemment, les mises en chantier ont légèrement repris, tant au Canada qu’aux États-Unis, ce qui a contribué à atténuer les effets des pénuries de logements à moyen terme, un tour de force compte tenu des taux hypothécaires qui dépassent maintenant la barre des 6 %, et ce, peu importe l’échéance. Un deuxième indicateur sur lequel on peut se fier est l’indice ISM des nouvelles commandes par rapport aux niveaux des stocks aux États-Unis qui donne un aperçu de l’évolution de la production. Il montre que même si l’indice ISM global annonce une contraction, ses composantes laissent présager une embellie des perspectives de croissance (voir le graphique 2). Troisièmement, l’inflation évolue de façon inhabituelle dans le présent cycle économique. Habituellement, l’inflation est la donnée économique la plus décalée et est la dernière à fléchir en période de ralentissement économique, recul qui s’opère parfois seulement lors de la reprise subséquente. Cette fois-ci, l’inflation a reculé avant le taux de chômage. Qui plus est, la croissance des salaires a aussi ralenti, comme en témoigne l’indice du coût de l’emploi aux États-Unis qui montre que les salaires du privé ont baissé pendant quatre trimestres consécutifs pour atteindre 4,6 % sur 12 mois, un niveau qui demeure élevé, mais moindre que leur sommet de 5,7 % du printemps dernier.
Graphique 2 : Certains indicateurs avancés deviennent positifs

Source: ISM, Macrobond
À quoi pouvons-nous nous attendre en l’absence de ralentissement?
Même si les marchés semblent miser sur le scénario idéal d’un atterrissage en douceur, nous croyons qu’un autre scénario pourrait émerger dans lequel la croissance économique demeurerait solide, mais surtout, dans lequel l’inflation pourrait reprendre. Selon le GDPNow Forecast de la Fed d’Atlanta, la forte croissance du PIB réel de 2,4 % pourrait encore s’accélérer au deuxième trimestre. La croissance est en partie attribuable aux dépenses des entreprises qui ont grimpé en flèche aux États-Unis, notamment pour la construction d’usines (voir le graphique 3) qui sont destinées en particulier à la fabrication de matériel informatique et électronique, mais également de produits chimiques et alimentaires. Cette croissance s’explique entre autres par la politique budgétaire mise en place dans le cadre de la CHIPS Act et de l’Inflation Reduction Act, les gouvernements redécouvrant les avantages de soutenir directement les ménages et les entreprises. Le déficit budgétaire du gouvernement américain a atteint les 2 200 milliards de dollars durant la période de 12 mois se terminant en juin, ce qui représente environ 8,6 % du PIB. Le déficit a doublé en un an, ce qui n’est pas passé inaperçu auprès des agences de notation qui ont révisé à la baisse la cote de crédit des États-Unis. Enfin, même si l’épargne excédentaire des ménages diminue, elle pourrait continuer d’alimenter les dépenses des consommateurs durant le reste de l’année.
Graphique 3 : La construction d’installations destinées à la fabrication a grimpé en flèche

Source : US Census Bureau, Macrobond
Par conséquent, la décélération encourageante de l’inflation pourrait ne pas se poursuivre si la croissance demeure résiliente. À notre avis, il est encore trop tôt pour crier victoire, car l’inflation pourrait rebondir. Jusqu’à présent, l’inflation globale a bénéficié de la baisse des prix de l’énergie. Pourtant, les prix du gaz ont à nouveau grimpé en juillet parallèlement à ceux du pétrole brut WTI qui ont avancé de 16 % (voir le graphique 4). Une situation semblable est observée du côté des prix des aliments, car les prix des produits agricoles sont aussi en hausse. Même si l’on constate une décélération de la croissance des salaires, le nombre d’arrêts de travail augmente : les travailleurs portuaires, les pilotes, les employés d’hôtels, les scénaristes et les acteurs, les employés des services de livraison, les travailleurs de l’automobile et les fonctionnaires ont tous entrepris des mesures de grève (voir le graphique 5). Diverses raisons sont à la source de ces conflits de travail, dont l’automatisation, la sécurité d’emploi et l’IA, mais un facteur qui pèse lourdement dans la balance est le fait que les salaires ne progressent pas au même rythme que l’inflation.
Graphique 4 : Rebond anticipé de l’inflation

Source: BLS, ICE, Macrobond
Graphique 5 : Augmentation des arrêts de travail

Source: StatCan, Macrobond
Soyons clairs, nous nous attendons toujours à un long décalage des effets de la politique monétaire, qui seront toutefois inévitables, et à ce que les banques centrales atteignent leurs cibles d’inflation durant un ralentissement économique plus sévère. Cependant, la probabilité qu’un tel scénario se concrétise a diminué compte tenu des raisons précédemment mentionnées, et la possibilité d’une nouvelle accélération de l’inflation devrait demeurer un scénario de risque. Soulignons toutefois que les marchés semblent tenir compte d’un scénario moins grave et s’attendre à une croissance durable et à un ralentissement de l’inflation. L’indice S&P 500 est en forte progression malgré le ralentissement de la croissance des bénéfices. Le calme règne sur les marchés – avant la fin du mois de juillet, il s’était écoulé plus de 40 jours depuis le dernier repli de plus de 1 % du S&P 500. L’indice VIX s’est effondré malgré la détérioration évidente des indicateurs avancés (voir le graphique 6). Compte tenu de tous ces facteurs, nous croyons que le risque réside dans le fait que les marchés seront malmenés si le scénario idéal d’atterrissage en douceur ne se concrétise pas.
Graphique 6 : Chute de la volatilité malgré la détérioration des indicateurs avancés

Source : Conference Board, CBOE, Macrobond
Marchés financiers
Les actifs risqués ont poursuivi sur leur lancée en juillet, portés par l’enthousiasme des investisseurs. Le S&P 500 et l’indice NASDAQ ont tous deux inscrit des gains pour un cinquième mois de suite. Les données témoignent de la vigueur de l’économie, ce qui alimente les gains de tous les principaux secteurs des indices; le nombre croissant de secteurs qui enregistrent des gains est également encourageant. Dans l’ensemble, les bénéfices ont été meilleurs que prévu jusqu’à maintenant. À la fin de juillet, au moment où la moitié des entreprises du S&P 500 avaient publié leurs résultats du deuxième trimestre, 80 % d’entre elles avaient annoncé des bénéfices supérieurs aux attentes. Les entreprises ont réussi à afficher de tels bénéfices, qui sont néanmoins inférieurs à la moyenne, en diminuant leurs coûts et non pas en augmentant leur chiffre d’affaires. La bonne nouvelle est que plus récemment, les gains se sont étendus à l’ensemble des secteurs, même ceux qui ont inscrit les pires rendements, comme ceux de l’énergie, des services aux collectivités et de la santé.
Les indices des marchés obligataires ont reculé, plombés par les nouvelles hausses des taux d’intérêt des banques centrales. L’indice des obligations universelles FTSE Canada a fléchi de 1,1 % en juillet. Au cours du mois, la Banque du Canada, la Réserve fédérale américaine de même que la Banque centrale européenne ont toutes relevé leurs taux d’un quart de point. Même la Banque du Japon, dont les taux demeurent extrêmement bas, a modifié sa politique de contrôle de la courbe des taux pour élargir sa fourchette qui est passée d’environ 0 % à des seuils inférieur et supérieur d’un point de pourcentage. Depuis ces interventions, les banques centrales semblent avoir adopté une approche attentiste. Les matières premières ont figuré en tête de peloton au cours du mois, à commencer par le baril de pétrole brut WTI qui a bondi de 15,8 %, tandis que le baril de Brent a grimpé de 14,2 %. Une telle progression est particulièrement remarquable, compte tenu de la reprise décevante en Chine et du fait que la hausse des prix est en partie attribuable à la baisse de l’offre.
Stratégie de portefeuille
Comme c’est le cas lors de chaque fin de cycle, les données seront volatiles. Les tendances récentes ont entraîné une importante réévaluation de la conjoncture macroéconomique. Même si les nouvelles données demeurent solides et que l’inflation ralentit, la probabilité d’un atterrissage en douceur reste faible. D’un côté, un rebond de l’inflation pourrait se produire si l’activité économique demeure résiliente, d’un autre côté, l’économie pourrait finir par ralentir, si les effets décalés de la politique finissent par se matérialiser. Nous avons apporté des ajustements à nos portefeuilles fondamentaux d’actions afin de tenir compte des points de vue divergents. L’exposition aux titres cycliques a été augmentée, notamment aux secteurs de l’industrie et de la consommation discrétionnaire, plus particulièrement aux sociétés dont les valorisations tiennent déjà compte d’une possible récession et qui pourraient tirer parti de certains thèmes mentionnés plus tôt, comme le vigoureux cycle de dépenses en immobilisations. Les portefeuilles de titres à revenu fixe sont positionnés pour profiter de la hausse des taux d’intérêt à long terme comparativement aux taux à court terme. La surpondération des liquidités de même que la sous-pondération des actions et des obligations ont été maintenues dans les portefeuilles équilibrés. En cette période marquée par les changements, nous évaluerons rigoureusement les nouvelles données afin de prendre des décisions éclairées.