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Perspectives au troisième trimestre de 2024 : Nettoyage et balayage

27 novembre 2024

Drapeau des États-Unis et architecture contemporaine en verre du Financial District, New York, É.-U.

Si l’on examine l’ensemble des résultats de cette année d’élections, il est évident que les partis en place dans le monde ont en général été renversés. Pour la première fois depuis la Seconde Guerre mondiale, tous les partis au pouvoir candidats aux élections dans les pays développés ont perdu des voix et ont été chassés du pouvoir ou, dans certains pays, ont été contraints de travailler avec des partis opposés au sein d’une coalition. Les experts ont invoqué diverses raisons pour expliquer ce phénomène. L’une d’entre elles remonte dans le temps, considérant les élections de cette année comme une répudiation totale de l’inégalité économique qui s’est développée depuis la mondialisation. La période qui a suivi la Grande Crise financière a été marquée par la colère populaire, qui s’est lentement intensifiée jusqu’à la période d’inflation élevée après la pandémie, en raison de l’accroissement des mesures budgétaires. Les politiciens ont probablement appris que l’inflation nuit aux perspectives électorales et ils seront plus sensibles à toute hausse et au mécontentement des électeurs.

La victoire décisive des républicains aux élections américaines au début novembre a mis tout cela en relief. Contrairement au premier mandat, cette administration devrait être mieux préparée et donc plus efficace, ce qui signifie qu’une plus grande partie de la plateforme électorale sera mise en œuvre. Il reste toutefois à voir quelles politiques fiscales, tarifaires, d’immigration, de logement et de santé proposées dans le cadre de la campagne seront adoptées. En effet, même si de nombreuses politiques ont été formulées, le président désigné aime être perçu comme un négociateur et est adepte des transactions, cherchant à réaliser une bonne affaire pour les États-Unis. Il en résulte donc une incertitude bien plus grande que ce que les marchés anticipent à l’heure actuelle.

Ce contexte est différent

Jusqu’à présent, les marchés financiers ont adopté la même réaction que lors du premier mandat tumultueux de M. Trump, ce qui s’est traduit par une forte hausse des actions, du dollar américain et des taux obligataires après les élections. Toutefois, cela ne tient pas compte de certaines caractéristiques nettement différentes dans le contexte actuel du marché par rapport au premier mandat du président désigné.

D’abord, l’inflation de l’IPC en 2016 s’est établie en moyenne à environ 1,5 % sur 12 mois aux États-Unis, après avoir été proche de zéro en 2015. Aujourd’hui, l’inflation est passée de 4 % en 2023 à 2,6 % en octobre selon les dernières données. La mesure plus stable de l’inflation de base, qui exclut les composantes volatiles, est toujours supérieure à 3 % et les taux annualisés sur trois mois sont désormais plus élevés (3,6 %). Cela laisse entrevoir une persistance de l’inflation, à laquelle il reste à s’attaquer. Les expulsions prévues entraîneraient une réduction de la main-d’œuvre en âge de travailler et de l’offre de main-d’œuvre, ce qui est en soi inflationniste. Toutefois, le mécontentement suscité par l’inflation élevée a contribué à la frustration des électeurs. Ainsi, même si les décideurs américains semblent déterminés à prolonger les baisses d’impôt et à poursuivre les mesures de relance liées à la demande, ils pourraient être freinés dans leur élan par les pressions inflationnistes, qui pourraient poser problème pour les élections de mi-mandat. Mais plus directement, les nominations du président à des postes ministériels et de direction (notamment le conseiller à la sécurité nationale et le ministère de la Justice) proviennent des élus à la Chambre des représentants, ce qui réduit le coussin de la majorité et menace la capacité d’adopter des lois fiscales en 2025. Par conséquent, les mesures de relance réelles pourraient être plus limitées que ce qui est actuellement prévu par les marchés.

Deuxièmement, les taux d’intérêt ont été extrêmement bas en 2016, atteignant un creux historique de 1,1 % en juillet 2016 après le vote sur le Brexit. Aujourd’hui, les taux des obligations du Trésor américain à 10 ans se négocient dans une large fourchette de 3,75 % à 4,5 %, des niveaux qui remontent à avant la Grande crise financière. Soulignons que les taux à ce niveau sont également associés à une volatilité accrue des marchés. Au cours des trois dernières années, à mesure que les marchés boursiers ont progressé, nous avons connu quatre replis des marchés haussiers. Deux d’entre eux ont été déclenchés par des événements : la crise des banques régionales américaines en mars 2023 et le relèvement du taux directeur de la Banque du Japon, qui était de 0,1 % en août 2024, ce qui a entraîné une réévaluation des opérations de portage sur le yen. Toutefois, les autres événements se sont produits lorsque les taux des obligations du Trésor américain à 10 ans ont atteint 4,5 % en septembre 2023 et en avril 2024 (graphique 1). Lors des replis de 2023, une intervention considérable a été nécessaire, laquelle a pris la forme d’un élargissement du bilan de la Fed et d’une modification du financement de la dette fédérale aux États-Unis, qui est passée des obligations au papier à court terme. En fin de compte, cette dernière mesure a limité l’offre d’obligations à long terme et contribué à réduire les taux d’intérêt à long terme. Paradoxalement, cela signifie également que les charges d’intérêts sur la dette fédérale ont augmenté en raison de l’inversion de la courbe des taux. Ces niveaux importants de dette et de déficit fédéraux pourraient entraîner des flambées des taux à long terme, car les marchés évaluent les difficultés budgétaires, tout comme ils l’ont fait en France et au Royaume-Uni cette année. Le problème le plus important est toutefois que les taux d’intérêt oscillent maintenant autour des niveaux que les marchés boursiers considèrent comme problématiques.

Enfin, un autre changement par rapport à 2016 est le leadership de l’ordre mondial, car les élections ont causé des bouleversements. Comme les États-Unis se concentrent sur leur propre pays, il y a peu de contrepoids à la stabilité. Les électeurs européens rejettent également le statu quo, ce qui contraste avec 2016, lorsque la chancelière allemande Angela Merkel était au pouvoir depuis 11 ans, dans un rôle qui a duré 16 ans, ce qui contrebalançait l’agitation aux États-Unis. Bien que peu remarqué, le gouvernement de coalition du chancelier allemand Olaf Scholz s’est effondré après moins de deux ans au pouvoir, et des élections sont prévues en février 2025. Des structures de gouvernement de coalition tout aussi bancales persistent en France, après la défaite du président Macron aux élections législatives européennes et des élections anticipées au pays qui ont donné lieu à un parlement minoritaire. Les changements à venir aux États-Unis signifient qu’en plus des problèmes de leadership nationaux, chaque pays devra faire face à un bouleversement des relations commerciales et chercher des alliés fiables.

Comprendre les véritables tendances pour les prochaines années

Aujourd’hui, la volatilité des marchés boursiers s’est considérablement atténuée et les indicateurs d’humeur sont orientés à la hausse. Les politiques réellement mises en œuvre ne seront connues qu’au fil du temps, mais beaucoup de choses pourraient perturber le marché haussier. La volonté du nouveau président de renverser les principaux ministères, notamment ceux de la Défense, de la Justice et de la Santé, en choisissant les membres du cabinet laisse présager l’imprévisible. L’éventail des perspectives politiques est plus vaste que jamais. Toutefois, il existe différentes périodes de placement, dont l’une est à court terme, au cours desquelles la Fed et les marchés se concentrent sur les données à court terme et se demandent si l’inflation continuera de diminuer. Ensuite, la nouvelle administration mettra en œuvre des politiques commerciales, budgétaires et macroéconomiques à plus long terme au cours de la prochaine ou des deux prochaines années. En fin de compte, nous croyons que nous amorçons une accélération de la transition déjà évidente d’une faible croissance et de faibles taux d’intérêt après la crise financière mondiale. Cependant, la volatilité des taux et des actions augmentera en raison de l’incertitude entourant l’établissement des politiques et leurs résultats. Ces éléments sont contradictoires pour les investisseurs. Nous surveillerons donc les politiques qui améliorent la productivité, comme les investissements, les baisses d’impôt ciblées et la déréglementation, qui pourraient accroître la confiance et l’optimisme des entreprises. En attendant que la politique soit plus claire, les spéculations vont bon train et nous demeurons vigilants dans l’évaluation des signes précurseurs de ces points d’inflexion au cours du prochain cycle.

Marchés financiers

Même si les marchés ont connu des fluctuations au début du mois d’août et de septembre, ils ont enregistré de solides rendements au troisième trimestre. Cette situation s’est quelque peu inversée avec la faiblesse des obligations et des actions en octobre. Malgré la réduction inattendue de 50 pb du taux directeur par la Fed, les taux d’intérêt ont augmenté de façon constante après cette réduction importante, les données de croissance ayant été invariablement plus élevées que prévu. Plus particulièrement, le PIB a progressé à un rythme rapide de 2,8 % au troisième trimestre et les données sur la confiance, comme l’indice ISM du secteur des services, ont recommencé à signaler une expansion. Cela a incité les participants aux marchés à réduire la probabilité d’une baisse plus rapide des taux d’intérêt, et le taux des obligations du Trésor américain à 10 ans a augmenté jusqu’à 4,5 %.

Après avoir progressé de 5,5 % au troisième trimestre, l’indice S&P 500 a reculé de 1 % en octobre. En novembre, les marchés se sont remis des pertes d’octobre et plus encore, progressant d’environ 3 %, les secteurs des banques, de la consommation discrétionnaire, de l’industrie et de l’énergie affichant tous de bons rendements. Après avoir eu le temps d’absorber les répercussions du choix des membres du cabinet, les secteurs sensibles aux taux d’intérêt et les produits pharmaceutiques ont tiré de l’arrière. La période de publication des résultats du troisième trimestre tire à sa fin, et la croissance des bénéfices et des ventes a surpassé les attentes. La croissance des bénéfices au troisième trimestre est supérieure de plus de 8 % à celle de l’an dernier et les trois quarts des sociétés ont dépassé les prévisions. Les actions canadiennes ont bondi de 10,5 % au troisième trimestre. Au cours de la période qui a suivi les élections, la réaction impulsive à l’idée que la politique tarifaire nuirait à toutes les sociétés, sauf celles des États-Unis, a entraîné le rendement inférieur de l’indice S&P/TSX. Cette situation a été de courte durée et l’indice S&P/TSX a depuis rebondi, la vigueur de la finance et des technologies de l’information ayant compensé la baisse des prix de l’énergie et les difficultés économiques.

Les obligations canadiennes ont inscrit des gains pendant cinq mois consécutifs jusqu’en septembre, de sorte que l’indice des obligations universelles FTSE a progressé de 4,7 % au troisième trimestre, avant de reculer de 1 % en octobre. Les taux obligataires canadiens sont en hausse depuis les creux de la mi-septembre et ont encore progressé dans la foulée des élections, les taux obligataires à 10 ans atteignant 3,35 %, leur plus haut niveau depuis juillet. Depuis, les taux canadiens ont été inférieurs à ceux des États-Unis. Cette tendance n’est pas surprenante étant donné que les politiques proposées par les États-Unis ont fait augmenter les attentes d’une reprise de l’inflation. Le chemin a été cahoteux, mais le président Powell a clairement renforcé les attentes du marché à l’égard d’un ralentissement des réductions de taux, soulignant qu’il n’est pas nécessaire d’abaisser les taux compte tenu des signaux actuels de l’économie concernant la croissance et l’inflation.

Stratégie de portefeuille

Depuis un an ou plus, le débat sur le contexte macroéconomique consiste à savoir si les banques centrales auront la capacité de tirer leur épingle du jeu et de produire un atterrissage en douceur de l’économie américaine, après une inflation et des taux d’intérêt élevés qui n’existaient pas depuis 20 ans. Au dernier trimestre, l’inquiétude a semblé s’éloigner des préoccupations à l’égard de l’inflation pour se porter sur la croissance, les banques centrales ayant toutes commencé à assouplir leur politique monétaire. Toutefois, comme les élections de l’année se sont accompagnées de votes populistes, la question semble moins porter sur les atterrissages en douceur que sur la possibilité d’une reprise de la croissance élevée et de l’inflation élevée. Pour ce faire, il faudra assouplir les politiques monétaire et budgétaire afin de contrebalancer le resserrement des politiques commerciales et d’immigration. À court terme, le contexte macroéconomique fondamental positif aux États-Unis ainsi que la solide croissance, le marché de l’emploi équilibré et les conditions financières favorables nous ont incités à couvrir la sous-pondération des actions dans les fonds équilibrés au début d’octobre et à maintenir une sous-pondération des titres à revenu fixe et une surpondération des liquidités. Les portefeuilles de titres à revenu fixe conservent des positions qui profitent d’une accentuation de la courbe des taux. Les portefeuilles d’actions canadiennes fondamentales s’ajustent afin de profiter du rapatriement des activités et continuent de rechercher des sociétés cycliques de grande qualité, comme celles des secteurs de l’industrie, de la finance et des matériaux. Nous évaluons la combinaison des valorisations relativement élevées et d’une possible réaccélération de la croissance et de l’inflation au cours de la prochaine année – et des quatre prochaines années – qui seront sans aucun doute remplies de surprises.

Graphique 1 : turbulences sur les marchés boursiers en période de hausse des taux
Ce graphique montre l’évolution de l’indice S&P 500 depuis 2022. L’indice suit une tendance à la hausse, mais connaît des périodes de turbulences liées à la hausse des taux d’intérêt et aux chocs des marchés.

Source : S&P Global et Macrobond.

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novembre 27th, 2024